Des experts appellent à harmoniser les calendriers de vaccination entre les provinces


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Par La Presse Canadienne, 2025
TORONTO — Des experts et des parents estiment que les calendriers de vaccination devraient être harmonisés dans les provinces canadiennes, au moment où se déroule une épidémie de rougeole.
La Société canadienne de pédiatrie souhaite ajuster le calendrier vaccinal à l'échelle nationale depuis 1997, année de la publication d'un article sur le sujet.
Sa pertinence a refait surface alors que le pays s'efforce de renforcer les messages de santé publique face à l'épidémie de rougeole, qui menace de mettre fin au statut d'élimination qu'avait atteint le Canada en seulement quelques mois.
Chaque province et territoire a son propre calendrier de vaccination, en fonction de facteurs tels que le moment où un enfant bénéficierait d’une immunité plus élevée grâce au vaccin et les vaccins infantiles qui peuvent être regroupés.
Dans le contexte d'une épidémie de rougeole ayant entraîné près de 5000 cas au pays, certains parents pourraient remarquer que la deuxième dose de vaccin contre la maladie transmissible est administrée à 18 mois dans certains endroits, et entre quatre et six ans dans d'autres.
Déménager de l’Ontario au Nouveau-Brunswick n’a pas seulement obligé Jade Medeiros à s’adapter à une nouvelle province avec deux bébés: elle a aussi dû élaborer un nouveau programme de vaccination.
Lorsque sa famille a déménagé à Moncton en 2020, elle a appris que ses enfants de deux et trois ans étaient déjà en retard dans leurs vaccinations de routine, car le calendrier du Nouveau-Brunswick est différent de celui de l’Ontario.
«Elle a dû recevoir plusieurs vaccins en même temps, alors qu’en Ontario, c’est plus espacé», a expliqué Mme Medeiros, en parlant de sa fille cadette.
Des parents et des experts de la santé craignent également que la confusion entourant les calendriers de vaccination et une mauvaise tenue des dossiers puissent contribuer à la baisse des taux de vaccination, notamment en raison du scepticisme croissant à l'égard des vaccins en Amérique du Nord.
Les taux de vaccination des enfants ont chuté au cours des dernières années, la méfiance et la désinformation sur la vaccination ayant pris le dessus pendant la pandémie de COVID-19.
Au Canada, seuls 76 % des enfants de sept ans ont reçu les deux doses du vaccin contre la rougeole en 2023, contre 86 % en 2019. Il faut 95 % pour obtenir l'immunité collective.
L'élimination des obstacles à la vaccination des enfants est depuis longtemps considérée comme un moyen essentiel d'éliminer les maladies évitables par la vaccination, comme la rougeole. Un calendrier de vaccination facile à comprendre et à suivre peut simplifier ce processus pour les familles.
«Je suis absolument convaincu qu'il faut l'harmoniser pour tous les vaccins», a approuvé Jade Medeiros.
Calendriers de vaccination
Dans la plupart des provinces et territoires, le vaccin contre la rougeole, la rubéole, les oreillons et la varicelle (RRO-Var) est administré à 12 et 18 mois.
C'est le cas en Alberta, en Saskatchewan, au Québec, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l'Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve-et-Labrador, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut.
Cependant, en Colombie-Britannique, les bébés reçoivent des vaccins RRO et contre la varicelle distincts à 12 mois, puis le vaccin combiné RRO-Var vers l'âge de leur entrée à l'école, soit entre quatre et six ans.
Au Yukon, ils reçoivent des doses distinctes de RRO et contre la varicelle à 12 mois, puis une deuxième dose des deux vaccins entre quatre et six ans.
En Ontario, le vaccin RRO est administré à 12 mois, suivi d'un vaccin contre la varicelle à 15 mois, puis d'un vaccin combiné RRO-Var entre quatre et six ans.
Pourquoi des calendriers différents d'une province à l'autre?
Le calendrier de vaccination de chaque province a évolué en fonction des tendances et de la répartition de la maladie au sein d'une population, a expliqué la Dre Arlene King, ancienne médecin hygiéniste en chef de l'Ontario.
Lorsque Mme King était médecin-cheffe de l'Ontario, la province a modifié le calendrier de vaccination des enfants. Le Comité consultatif national de l'immunisation (CCNI) a recommandé un vaccin supplémentaire contre la varicelle pour une meilleure protection, et un vaccin combiné RRO-Var a été introduit.
À l'époque, la deuxième dose en Ontario était administrée à 18 mois, indépendamment du vaccin contre la varicelle. Mais en 2011, la province a ajouté une dose combinée RRO-Var entre quatre et six ans, en plus du vaccin contre la varicelle administré aux nourrissons.
«L'avantage d'administrer le vaccin entre quatre et six ans, la deuxième dose, est que l'on sait qu'il y aura une protection complète contre la maladie dans un milieu où les possibilités de transmission sont nombreuses, par exemple à l'école», a pointé la Dre King.
La Dre Vinita Dubey, médecin hygiéniste adjointe à Toronto, a déclaré qu'il existe probablement davantage de données scientifiques en faveur de l'espacement des deux doses contre la rougeole, ce qui donne à l'organisme plus de temps pour développer une immunité solide avant la deuxième dose.
«Particulièrement chez les enfants, les nourrissons et les tout-petits, leur système immunitaire se développe davantage avec l'âge», a rappelé la Dre Dubey.
Mais il est également prouvé qu'un calendrier plus serré protégera les membres les plus jeunes et les plus vulnérables de la population contre la maladie. C'est parce que certains nourrissons ne répondent pas à la première dose, a expliqué la Dre Joan Robinson, infectiologue pédiatrique à Edmonton.
«Si tel est le cas, administrer une deuxième dose le plus tôt possible après la première pourrait permettre de protéger un plus grand pourcentage d'enfants», a noté la Dre Robinson.
Elle a ajouté que personne ne sait vraiment quel calendrier est le meilleur, car le Canada n'a introduit la deuxième dose contre la rougeole qu'en 1996 et que son statut d'élimination n'a été atteint qu'en 1998.
«Depuis, nous n'avons pas eu suffisamment de cas de rougeole au pays pour pouvoir déterminer quel est le meilleur calendrier», a ajouté la docteure.
Des dossiers partagés, un «rêve lointain»
La Société canadienne de pédiatrie a réclamé à plusieurs reprises une stratégie de vaccination harmonisée, comme c'est le cas aux États-Unis et au Royaume-Uni. Ces deux pays adoptent une approche similaire à celle de l'Ontario, en vaccinant les enfants avec une deuxième dose vers l'âge de leur entrée à l'école.
Un exposé de position de 1997, repris dans un appel à l'action de 2011, mettait en garde contre le risque que des enfants passent entre les mailles du filet en raison d'un calendrier de vaccination désharmonisé.
«Une certaine diversité entre les programmes de vaccination provinciaux et territoriaux serait inoffensive si toutes les administrations disposaient et partageaient des systèmes complets de tenue de dossiers facilement accessibles aux fournisseurs», écrivait la Dre Noni MacDonald, pédiatre et membre du Comité des maladies infectieuses et d’immunisation à l'époque.
«Pour la plupart des administrations, de tels systèmes ne sont qu'un rêve lointain.»
Ses propos, écrits il y a près de 30 ans, sont toujours d'actualité.
Le Dr Jeffrey Pernica, coprésident du Comité consultatif ontarien de l'immunisation, a vivement insisté sur la nécessité d'un registre électronique de vaccination, qui permettrait de conserver les renseignements sur la vaccination des enfants, de déterminer la date limite de vaccination et d'alerter les parents à l'avance.
Le site Web du gouvernement fédéral répertorie six provinces qui disposent de registres de vaccination, soit l'Alberta, la Colombie-Britannique, le Manitoba, la Nouvelle-Écosse, le Québec et la Saskatchewan. Aucun de ces systèmes n'est interconnecté.
«Idéalement, la structure du système de santé devrait être telle que chacun reçoive un rappel avant sa vaccination», a-t-il soutenu.
En Alberta, les infirmières de la santé publique utilisent le registre de vaccination pour identifier les enfants en retard dans leurs vaccins. Ces enfants reçoivent une lettre personnalisée et un formulaire de consentement que les parents doivent signer, ce qui leur permet de rattraper leur retard de vaccination à l'école.
Les autres provinces comptent sur les médecins de famille, les parents ou les bureaux locaux de santé publique pour assurer le suivi, un système décousu qui fait que certains parents disent être perdus à s'y retrouver seuls.
Le Dr Pernica souligne que des millions de personnes en Ontario n'ont pas de médecin de famille, et même celles qui en ont un ne reçoivent pas nécessairement de rappel lorsqu'il est temps de se faire vacciner, car les médecins n'ont pas toujours le temps ou les ressources nécessaires.
«Les principaux bénéficiaires d'un registre de vaccination ne sont même pas la santé publique. Je pense que le principal avantage serait pour les personnes qui ne savent pas si elles ou leurs enfants sont à jour dans leurs vaccins», a-t-il dit.
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Hannah Alberga, La Presse Canadienne