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Dans le Grand Montréal, un ménage sur cinq ne peut pas subvenir à ses besoins de base

durée 15h05
15 mai 2023
La Presse Canadienne, 2023
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4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

MONTRÉAL — «Le suicide est juste sur le bord du coin...»

La gorge nouée par l’émotion, Marie Leblanc ne termine pas sa phrase. La sexagénaire habite un logement sur la Rive-Sud de Montréal qui lui coûte 795 $ par mois, ce qui représente 61,5 % de son maigre revenu mensuel de 1292 $. Il ne lui reste pas grand-chose pour se nourrir, se vêtir, se transporter.

Marie témoignait dans une vidéo présentée, lundi, à l’ouverture de la journée «Agir ensemble pour le logement», organisée par Centraide du Grand Montréal, qui a déposé un cahier de chiffres effarants sur la crise du logement dans la région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal. 

Ces données sont dévoilées le jour même où l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation (APCHQ) nous apprend que le nombre de mises en chantier de logements collectifs en avril dernier était en recul pour un huitième mois consécutif.

Revenus négatifs

L’étude de Centraide, elle, nous apprend qu’un ménage sur cinq (19 %) du Grand Montréal, soit 360 000 ménages de la région qui s’étend de Saint-Jean-sur-Richelieu jusqu’à la Couronne Nord, n’ont pas un revenu suffisant pour payer leur logement et leurs besoins essentiels. En d’autres termes, une fois le loyer payé, il n’en reste pas assez pour se nourrir convenablement, se vêtir et se déplacer.

L’étude, réalisée par la firme McKinsey, est la première à mesurer pour le Grand Montréal le «revenu résiduel», soit ce qui nous reste dans les poches une fois les impôts, le loyer et les besoins essentiels payés. Selon cette étude, il faut un revenu minimal de 28 000 $ pour ne pas arriver «dans le rouge». Sous ce seuil, il faut soit s’endetter ou couper dans les dépenses de consommation et c’est ce qu’on appelle un revenu résiduel négatif.

Déficit de 3,6 milliards $

Selon un calcul réalisé en fonction des données de Statistique Canada, le déficit résiduel des 360 000 ménages recensés s’élève à 3,6 milliards $ par année. Et le cœur du problème, c’est le coût trop élevé du logement ou, dit autrement, le manque criant de logement social et abordable.

«Partout au Québec, incluant dans la grande région de Montréal, la pénurie de logements est avant tout une pénurie de logements abordables», a précisé la ministre responsable de la Solidarité sociale, Chantal Rouleau, en ouverture de la journée.

Moins que rien

Le président et directeur général de Centraide du Grand Montréal, Claude Pinard, a ainsi illustré le problème du logement inabordable: «Tout le monde s'est déjà posé la question, en louant un logement: est-ce que j'ai les moyens de me payer ce logement? Combien d'argent me restera-t-il à la fin du mois?» 

Pour un ménage sur cinq, les réponses à ces deux questions sont «non» et «moins que rien», ce qui les amène à faire «des choix inhumains qui affectent la dignité de celles et ceux qui se retrouvent dans ces situations; celles et ceux qui acceptent de vivre dans des logements insalubres faute de meilleures options; celles et ceux qui doivent couper sur quelque chose d'aussi essentiel que la nourriture; ceux et celles qui doivent vivre dans la rue», a décrit M. Pinard.

Manque criant de logements sociaux

L’étude lui donne raison à bien des égards. Le Grand Montréal ne compte que 4,9 % de logements sociaux, comparativement à 7 % à Toronto alors que 46 % des ménages sont locataires dans la métropole comparativement à seulement 40 % dans la Ville-Reine.

Ce pourcentage est certes au-dessus de la moyenne canadienne de 3,5 % et le Canada n’a d’ailleurs pas de quoi pavaner, lui qui se trouve au 21e rang des 34 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La moyenne de l’OCDE, à 6,9 %, est presque identique à celle de Toronto et représente un objectif à viser, selon les auteurs de l’étude. Présentement, il ne se construit en moyenne que 1400 logements subventionnés par année dans le Grand Montréal. Il en faudrait environ 5040 par année pour rejoindre la moyenne de l’OCDE d’ici 2030.

Or, depuis quelques années, il s’est construit beaucoup plus de logements inabordables que de logements subventionnés et le marché de logements abordables a connu un étranglement avec des taux d’inoccupation bien en deçà de l’équilibre de 3 %, et ce, dans toutes les tailles de logements, du studio à l’appartement de trois chambres et plus.

«Une crise d'envergure»

Le gouvernement Legault, qui a longtemps nié la crise du logement, s’est finalement mis en marche. La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, était au diapason en ouverture de journée, parlant d’une «crise d’envergure» et promettant très prochainement un plan d’action en habitation, un nouveau programme en habitation abordable avec des appels à projets le mois prochain et un projet de loi pour «rétablir un meilleur équilibre entre locataires et propriétaires».

Le gouvernement, dit-elle, «ne peut pas résoudre la crise à lui seul», mais il devra certainement donner un solide coup de main parce que le secteur privé, lui, s’en va dans la direction inverse. Le communiqué de l’APCHQ publié lundi fait état d’un recul de 47 % du nombre de mises en chantier de logements collectifs en avril par rapport à avril 2022 et d’un recul cumulatif de 43 % depuis le début de l’année.

«Des cadeaux aux enfants»

Rien, donc, pour rassurer Marie Leblanc quant à l’apparition prochaine de logements sociaux qui lui permettraient d'en consacrer beaucoup moins à son loyer, elle qui ne demande pourtant pas grand-chose. 

«Si mon loyer me coûtait moins cher, je pourrais sortir, je pourrais avoir de l'argent pour aller au cinéma, pour aller manger, pour acheter des cadeaux aux enfants, pour avoir une espèce de petits fonds pour vivre…pour vivre», laisse-t-elle tomber, rêveuse.

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Si vous pensez au suicide ou vous vous inquiétez pour un proche, des intervenants sont disponibles pour vous aider, partout au Québec, 24/7.

Téléphone : 1 866 APPELLE (277-3553)

Texto : 535353

Clavardage, informations et outils: www.suicide.ca

https://www.espoirpourlemieuxetre.ca/

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne