Corridor du Nord: «il faut qu'on ficelle encore des choses», dit Fréchette

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Par La Presse Canadienne, 2025
QUÉBEC — Il faudra patienter encore avant qu'un bureau de projet voie le jour pour le Corridor du Nord canadien, ce chantier de près de 3 milliards $ qui vise notamment à acheminer des minéraux critiques jusqu'au Port de Saguenay afin de les exporter.
Le gouvernement Legault juge en effet qu'il reste des étapes à franchir avec le fédéral.
Une source bien au fait du dossier a indiqué à La Presse Canadienne qu'une annonce devrait toutefois avoir lieu au début de l'année prochaine, en janvier ou février, concernant le Port de Saguenay.
Les promoteurs du projet ont rencontré tout récemment les représentants des chambres de commerce du Saguenay-Lac-Saint-Jean pour que tous mettent l'épaule à la roue, a-t-on aussi appris.
Les élus régionaux réclament un bureau de projet, qui évaluerait entre autres la faisabilité du chantier.
On estime qu'il faudrait environ 5 millions $ par an pendant trois ans pour le financer.
Au cours d'une entrevue avec La Presse Canadienne, la ministre de l'Économie, Christine Fréchette, a laissé entendre qu'elle exige des précisions avant de lancer un bureau de projet.
«Il faut qu'on ficelle encore des choses avec le fédéral, avant de pouvoir aller de l'avant», a-t-elle déclaré.
«C'est sûr qu'il y a le financement, combien ça coûterait, de quelle manière ça serait réparti, le plan de travail, qu'est-ce qui serait à mettre en place, a expliqué la ministre. Ce sont de gros projets.»
Mme Fréchette rappelle ainsi que ce concept en plusieurs volets comporte un défi technique important.
Les promoteurs veulent reconstruire au coût de plus de 1,2 milliard $ un chemin de fer démantelé entre l'Abitibi et le Saguenay-Lac-Saint-Jean, sur 160 km, qui sert aujourd'hui de piste de motoneige. Une partie du financement serait assurée dans le cadre de l'entente sur la Paix des braves entre Québec et la nation crie.
Ensuite, il faudrait aussi remettre à niveau les tronçons de chemin de fer qui traversent la région du Lac-Saint-Jean jusqu'à Saguenay, au port de Grande-Anse, une facture estimée à 700 millions $.
Enfin, le Port de Saguenay, qui est une entité fédérale, requiert 695 millions $ en infrastructures, agrandissement du quai, entreposage, aqueduc, routes, nouvelle ligne d'électricité d'Hydro-Québec, etc.
Ce corridor ferroviaire-portuaire servirait à acheminer entre autres du minerai, qui pourrait venir d'aussi loin que du nord de l'Ontario. Il pourrait désenclaver des projets miniers de cuivre, de fer ou de terres rares qui tardent à aboutir en raison de problèmes de transport.
Des papetières ont manifesté aussi leur intérêt, a rapporté notre source, qui fait également valoir que le lien ferroviaire pourrait être crucial pour la réalisation de deux grands parcs éoliens dans la région.
Comment la ministre entrevoit-elle le calendrier de réalisation?
«Je ne suis pas au clair avec l'échéancier», a confié Mme Fréchette.
Elle a évoqué la nouvelle loi fédérale qui a pour but d'accélérer la réalisation de grands projets jugés d'intérêt national.
«Comment ça va se traduire dans les faits?» se demande-t-elle.
«Je suis encore en attente de réponse, quant à savoir comment ça se passe concrètement, comment ça s'ajuste à notre action à nous. Je n'ai pas encore d'échéancier de planification très clair.»
Chose certaine, le Corridor du Nord ne fait pas partie de la liste soumise au Bureau fédéral des grands projets afin qu'il puisse faire l'objet d'une évaluation plus approfondie et de consultations, pour avancer plus vite.
Le préfet de la MRC de Lac-Saint-Jean Est souhaite justement qu'Ottawa mette le projet sur la voie rapide.
Pour y arriver, Louis Ouellet veut mobiliser un petit groupe qui va confectionner un dossier convaincant.
«J'ai besoin d'une équipe qui va monter le dossier qu'il faut pour que le gouvernement fédéral nous considère comme un projet d'envergure qu'il commanditerait», a-t-il soutenu en entrevue téléphonqiue.
Par la suite, M. Ouellet propose la mise en place du bureau de projet, «pour s'assurer que tout fonctionne et se fasse, les évaluations environnementales, le montage financier, les ententes avec les différents propriétaires et utilisateurs des voies ferrées».
Le préfet soutient que le Corridor a tous les atouts pour être favorisé par Ottawa.
Il s'agit d'un port en eau profonde sur une voie navigable à l'année - à l'abri des variations de niveau qu'on a vues sur le Saint-Laurent plus tôt cette année - qui permettrait de diversifier les marchés d'exportation du Canada, un autre des objectifs du gouvernement Carney.
«C'est la solution la moins coûteuse pour se rendre à l'Atlantique», a avancé M. Ouellet.
Au début d'octobre, le ministre fédéral des Finances, François-Philippe Champagne, avait reconnu que le projet concorderait avec la volonté du gouvernement de pouvoir exporter vers de nouveaux marchés et que «les ports sont un élément essentiel pour arriver à notre objectif».
Mais il se préoccupait du même souffle de la question du financement, de qui pourraient être les partenaires et de l'échéancier.
Son budget a débloqué 57,6 millions $ pour agrandir le quai du Port de Saguenay et améliorer son terminal maritime. Il est en effet plus simple et plus rapide de faire avancer le projet de Corridor en commençant par des investissements au Port de Saguenay, nous a fait comprendre notre source bien au fait du dossier.
Mais le préfet souhaite surtout un autre grand déblocage, une impulsion, un appui ferme des gouvernements, parce qu'on est actuellement dans le dilemme de «l'oeuf ou la poule», selon lui.
«Pour avoir une voie ferrée, on nous dit qu'on doit avoir des projets (industriels, miniers, etc.), mais pour avoir des projets, on nous dit qu'il nous faut une voie ferrée», a-t-il imagé.
M. Ouellet admet lui-même toutefois qu'il faudra de la patience et plusieurs années pour que le Corridor se concrétise.
«Ça pourrait se faire de façon assez rapide, mais ça ne sera pas demain matin ou dans un an», conclut-il.
Patrice Bergeron, La Presse Canadienne