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Ces commissions d'enquête qui ont fait oeuvre utile au Québec

durée 10h00
28 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Le rapport final de la commission Gallant sur les ratés de la transformation numérique de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) est attendu au début de 2026. Certains craindront qu'il termine tabletté et ne provoque aucun changement. Des commissions d'enquête publiques passées ont néanmoins démontré que l'exercice est loin d'être futile, soulignent divers intervenants.

D'ici le 13 février, le commissaire Denis Gallant doit remettre au gouvernement Legault ses conclusions et ses recommandations afin d'éviter un autre «fiasco» SAAQclic. La mise en oeuvre de ces dernières pourrait dépendre en partie de la volonté du milieu politique.

L'expérience de précédentes commissions d'enquête publiques au Québec montre une tendance à donner suite aux mesures proposées.

«Je pense que, depuis les dernières commissions (...) il n'y a plus de tablettage complet (des rapports) comme c'était le cas avant. Parce que les audiences ont été publiques, les gens ont entendu la preuve. Ils s'attendent donc à ce qu'il y ait quelque chose qui découle de ça», soutient la professeure associée à la faculté de droit de l'Université de Montréal, Martine Valois.

Mme Valois est actuellement avocate-conseil pour la commission Gallant. Elle a aussi travaillé pour la commission Bastarache sur le processus de nomination des juges et a fait partie d'un comité de suivi des recommandations de la commission Charbonneau sur l'industrie de la construction.

Dans ces deux derniers cas, il y a eu des changements législatifs importants, note-t-elle.

D'autres ont eu aussi cet effet. Mme Valois pointe vers les travaux de l'un de ses anciens étudiants à la maîtrise sur l'impact des recommandations des commissions sur la législation québécoise. Dans son mémoire présenté en 2019, Axel Fournier a analysé celles portant sur l’éthique et l’intégrité de l’État sur une période de près de 150 ans.

Il a conclu que «les recommandations de ces commissions ont inspiré une quarantaine de lois au Québec».

«En ce sens, nous avons pu démontrer que les commissions d’enquête sont davantage qu’un simple exercice de relations publiques», écrit M. Fournier. Une quarantaine de lois reste somme toute minime par rapport à tout ce qui peut être voté durant une année à l'Assemblée nationale, nuance-t-il.

La pression de la population et la couverture médiatique demeurent importantes pour éviter de voir un rapport tabletté. «Quand l'enjeu est saillant dans l'opinion publique, c'est payant pour les gouvernements de mettre en œuvre les recommandations», indique un professeur en science politique à l'Université de Montréal, Denis Saint-Martin.

Pour l'avocat-conseil Michel Décary, il n'y a aucun doute que «le public québécois a bénéficié largement» des commissions d'enquête.

Il a été procureur en chef sur la commission Johnson chargée de faire la lumière entourant l'effondrement du viaduc de la Concorde à Laval, en 2006. Ces travaux ont permis de mettre en lumière le vieillissement du réseau routier et de presser le gouvernement à lancer un important programme d'investissements, souligne l'homme, qui a été impliqué dans plusieurs autres commissions d'enquête au cours de sa carrière.

«Nombre de commissions d'enquête ont en commun d'avoir exposé des problèmes de fonctionnement d'institutions publiques et ont proposé des solutions. (...) Et généralement, elles ont toutes eu des effets bénéfiques. De sorte qu'au Québec, on peut dire qu'on bénéficie de mesures législatives et de systèmes qui sont vraiment parmi les plus avancés au monde», a affirmé M. Décary, citant notamment la question du financement des partis politiques.

Le professeur de droit public Nicholas Jobidon, à l'École nationale d'administration publique, croit aussi à «une corrélation» entre la tenue de commissions d'enquête et l'adoption de règles plus strictes en matière de contrats publics au Québec.

«Je ne sais pas c'est quoi la poule et c'est quoi l'œuf là-dedans. (...) Parmi les approvisionneurs au Canada, le Québec a la réputation d'avoir les règles les plus avancées, les plus complexes, les plus travaillées. Et c'est en grande partie, d'après moi, justement à cause de notre habitude de mettre ces pratiques-là en lumière à une certaine fréquence», avance-t-il.

L'exemple de la commission Charbonneau

La commission sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, présidée par l'ex-juge France Charbonneau, a notamment contribué à changer les pratiques.

ll y a dix ans, elle et le commissaire Renaud Lachance rendaient leur rapport.

En 2018, près de 70 % des recommandations de la commission Charbonneau avaient été appliquées partiellement ou complètement, selon la dernière analyse du comité de suivi. L'une des mesures phares est la création de l'Autorité des marchés publics, chargée de surveiller l'octroi des contrats au niveau provincial et municipal.

M. Lachance, aujourd'hui professeur au département de sciences comptables de HEC Montréal, note que, par ses audiences publiques et ses recommandations, la commission Charbonneau a aussi apporté un changement de culture, tant chez les ingénieurs, les fournisseurs que les entrepreneurs.

«Ce que j'ai lu et entendu est que, dans le milieu de la construction, il est clair qu'il y a eu un effet important dans la culture organisationnelle; un plus grand nombre de soumissionnaires dans les contrats publics, surtout au niveau municipal», a affirmé en entrevue celui qui a été vérificateur général du Québec de 2004 à 2011.

Avant Charbonneau, d'autres commissions concernant l'industrie de la construction et les contrats publics, notamment dans les années 1960 et 1970, ont contribué à changer les moeurs. Les commissions Malouf, Cliche et Salvas sont du nombre.

M. Décary affirme qu'il faut s'attendre à répéter l'exercice périodiquement. «Parce que le milieu s'adapte. Il y a de nouvelles règles et, par la force des choses, on cherche à trouver des moyens pour contourner ces règles. Et ça donne lieu, évidemment, à des abus», dit l'avocat.

Dans son rapport, la commission Charbonneau soulignait d'ailleurs qu'«en matière de corruption et de collusion, la créativité prévaut».

«Il serait par conséquent illusoire de penser éradiquer pour toujours ces phénomènes. Les problématiques évoluent et chaque commission s’efforce de diagnostiquer les phénomènes de son époque», écrivaient les deux commissaires.

Sur le plan social, d'autres types de commissions ont eu également des impacts importants. M. Saint-Martin évoque celle sur l'enseignement (Parent) qui a mené à la création des cégeps, et celle sur les droits des enfants (Laurent), qui a donné lieu à l'embauche d'une première commissaire au bien-être et aux droits des enfants en 2025.

Réformer la loi

Malgré ces résultats positifs, la Loi sur les commissions d'enquête, qui date de 1869, a besoin d'une «réforme en profondeur», plaide la professeure Martine Valois.

«Il faut donner du mordant à cette loi-là. Elle n'en a pas parce qu'essentiellement, les dispositions importantes n'ont pas changé depuis 160 ans», dit Mme Valois, qui a publié un livre à ce propos.

Elle suggère différentes modifications, dont une visant un meilleur suivi des recommandations. La professeure propose de confier au Protecteur du citoyen la responsabilité d'en faire la surveillance. Il déposerait périodiquement un rapport à l'Assemblée nationale sur les mesures prises par le gouvernement à la suite d'une commission.

Par les pouvoirs que lui confère déjà la loi en matière de recommandations, lui donner cette compétence en ce qui a trait aux commissions est «presque naturel», selon Mme Valois.

Le Protecteur du citoyen a d'ailleurs pour mandat actuellement d'évaluer et de suivre la mise en œuvre des appels à l’action de la commission Viens sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec.

M. Lachance croit aussi à la nécessité d'«une structure de suivi plus organisée» pour renforcer l'application des recommandations. Le rôle pourrait plutôt revenir, selon lui, à la commission de l'administration publique de l'Assemblée nationale, où les parlementaires pourraient débattre des mesures.

«C'est une commission qui est non partisane. Elle ferait donc une analyse objective des recommandations», qui sont parfois de nature politique, soutient M. Lachance.

Mme Valois propose aussi de bonifier les pouvoirs des commissaires notamment en lien avec la saisie de documents. Elle déplore également l'échéancier souvent trop court donné aux commissions pour réaliser leurs travaux, les obligeant systématiquement à demander des prolongations. Une situation qui peut nuire à la recherche de la vérité et à l'élaboration des recommandations, dit la professeure.

Frédéric Lacroix-Couture, La Presse Canadienne

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