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C.-B.: la ferme des autruches menacées de mort dénonce le manque d'intérêt d'Ottawa

durée 20h59
3 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — Alors que la Cour suprême du Canada examine si elle entendra l'affaire d'une ferme d'élevage qui lutte pour sauver ses autruches d'un abattage ordonné par l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA), les politiciens à Ottawa semblent choisir leurs mots avec beaucoup de prudence sur cette question.

Pierre Poilievre a été interrogé à deux reprises cette semaine pour savoir s'il soutenait les manifestants rassemblés à Universal Ostrich Farms pour protester contre l'abattage prévu. Le chef conservateur, au franc-parler habituel, a évité de commenter directement les motivations des manifestants.

Jeudi, M. Poilievre, sans prononcer le mot «autruche», a pointé du doigt le gouvernement libéral.

«Ils ont mal géré la situation dès le début, et maintenant, ils ont semé la confusion chez les Canadiens et la confusion chez les agriculteurs face à l'incompétence totale de l'ACIA», a-t-il soutenu.

La ministre de la Santé, Marjorie Michel, qui supervise l'ACIA, s'est dite préoccupée par la situation à la ferme.

«Je ne commenterai pas le sujet, car il est devant les tribunaux», a-t-elle déclaré jeudi à Ottawa.

«Nos politiciens sont restés silencieux», a souligné la porte-parole de la ferme, Katie Pasitney, lors d'une conférence de presse jeudi.

Elle a indiqué que les manifestants avaient reçu un certain soutien ces dernières semaines de la part du député conservateur de la région, Scott Anderson, et du député provincial local, mais que la ferme était frustrée de ne pas recevoir beaucoup d'attention d'Ottawa, et particulièrement de M. Poilievre.

Lori Turnbull, professeure de sciences politiques à l'Université Dalhousie, a supposé que le chef conservateur semblait réticent à prendre une position ferme pour ne pas contrarier une part de ses partisans.

«C'est le genre de sujet qui pourrait facilement diviser la coalition conservatrice», a-t-elle expliqué.

La saga remonte à décembre, lorsque l'ACIA a reçu une information anonyme concernant la mort d'oiseaux à la ferme près d'Edgewood, en Colombie-Britannique, une petite communauté située à environ deux heures de route au sud-est de Vernon.

L'ACIA a signalé la découverte de 69 autruches mortes à la ferme. Deux d'entre elles ont ensuite été déclarées positives à la grippe aviaire.

Le virus hautement contagieux a été détecté dans 534 propriétés au Canada ces dernières années, entraînant l'abattage de plus de 14 millions d'oiseaux. Partout dans le monde, des épidémies dans les exploitations avicoles sont accusées d'avoir fait grimper le prix des œufs.

L'ACIA a indiqué que ces abattages sont requis en vertu de la politique d'«abattage sanitaire» de l'Organisation mondiale de la santé animale, adoptée par le Canada et nombre de ses partenaires commerciaux.

Selon l'Agence, cette politique exige l'abattage des animaux infectés, soupçonnés d'être infectés ou exposés au virus. Cette mesure est généralement prise dans un délai de 48 à 72 heures.

La copropriétaire de la ferme, Karen Espersen, et sa fille Katie Pasitney ont intenté une action en justice contre l'abattage, qui a attiré l'attention des médias et des politiciens du monde entier, y compris de l'administration Trump, et a attiré des dizaines de sympathisants à la ferme.

L'affaire a mis plus de 200 jours à se rendre devant la Cour suprême. Les éleveurs affirment que les autruches restantes ne présentent aucun signe de grippe aviaire et ne devraient pas être abattues.

Cependant, l'ACIA a soutenu que les autruches apparemment en bonne santé peuvent néanmoins propager la maladie, y compris de nouvelles mutations du virus.

La Cour suprême a suspendu temporairement l'ordonnance d'abattage et a ordonné à l'ACIA de prendre en charge les oiseaux jusqu'à ce qu'elle décide si elle entendra l'affaire.

L'agence a été escortée sur la propriété par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) le 22 septembre et a pris le contrôle de l'enclos des autruches.

Une première pour l'ACIA

«En général, les propriétaires d'animaux coopèrent aux efforts de lutte contre la maladie de l'ACIA, et de telles mesures n'étaient pas nécessaires auparavant», a indiqué un porte-parole dans un communiqué de presse.

De son côté, la GRC a confirmé qu'elle enquêtait sur plusieurs incidents survenus dans les environs de la ferme, notamment des incendies suspects, l'agression présumée d'une voisine âgée qui aurait été aspergée d'essence, et des menaces de violence proférées à l'encontre d'entreprises associées aux activités de l'ACIA à la ferme. Une entreprise a signalé à la police que ses employés avaient été menacés d'être suivis jusqu'à leur domicile et d'être pris pour cible.

Le milliardaire américain John Catsimatidis, allié du président Donald Trump, a contribué au financement de la bataille juridique de la ferme. Il a déclaré jeudi, lors d'une conférence de presse en compagnie de Mme Pasitney, avoir personnellement informé Donald Trump de l'affaire.

Ce dernier doit rencontrer le premier ministre Mark Carney à Washington la semaine prochaine.

Le secrétaire américain à la Santé, Robert F. Kennedy Jr., a écrit au gouvernement canadien pour lui demander de mettre l'abattage des bêtes sur pause. Le Dr Mehmet Oz, administrateur des Centres des services Medicare et Medicaid, une agence du ministère de la Santé américain, a même proposé d'accueillir le troupeau dans son ranch personnel.

Parallèles avec la pandémie

«Il serait bon que les véritables sujets qui touchent les Canadiens soient à l'ordre du jour et au centre des discussions de dirigeants comme Pierre Poilievre», a lancé Mme Pasitney jeudi, ajoutant qu'elle souhaite une réforme de la politique d'abattage sanitaire de l'ACIA.

Pour de nombreux sympathisants de la ferme, le problème présente des parallèles évidents avec les mesures liées à la COVID-19 qui ont motivé les manifestations du «convoi de la liberté» de 2022.

«Je considère qu'il s'agit d'une ingérence flagrante du gouvernement de la part de l'ACIA», a déclaré Jeffery Gaudry, présent à la ferme la semaine dernière lors de l'arrivée de l'agence.

«C'est exactement ce que j'ai constaté en 2022. Différents éléments, un virus affectant les humains, un autre affectant les oiseaux.»

Il n'est pas seul. Tamara Lich, éminente organisatrice du «convoi de la liberté», a visité la ferme à plusieurs reprises.

La professeure Turnbull a rappelé que le chef conservateur avait réussi à obtenir le soutien de ceux en faveur du convoi.

«Il ne l'approuve pas ouvertement, mais il se présente comme suffisamment proche du projet pour que ces personnes viennent le soutenir», a-t-elle ajouté.

M. Poilievre s'attaque également aux libéraux sur les questions d'accessibilité financière et de criminalité, a-t-elle souligné, et le parti souhaite probablement qu'il maintienne son message.

Gerry Ritz, ancien ministre fédéral conservateur de l'Agriculture, a convenu que M. Poilievre a «d'autres chats à fouetter».

«Où est le ministre? Vous savez, où est Heath MacDonald (ministre de l'Agriculture)? Il devrait être au premier plan et dire: oui, il y a une justification pour cela», a affirmé M. Ritz.

«Ils ne peuvent invoquer aucun élément de la Loi sur la santé des animaux qui autorise la brutalité à laquelle ils se sont livrés dans ce cas.»

M. Ritz, qui élevait autrefois des autruches dans sa ferme saskatchewanaise, a également affirmé qu'il n'était pas convaincu que le troupeau ait réellement contracté la grippe aviaire. «Je ne suis même pas certain que la grippe aviaire soit un facteur dans leur cas. Personne ne l'a prouvé», a-t-il déclaré.

Mme Pasitney a dit la même chose, mais la ferme elle-même n'a pas plaidé devant les tribunaux l'absence de grippe aviaire.

En fait, selon l'ACIA, la ferme a affirmé devant le tribunal que «des personnes associées aux sites infectés ont signalé avoir subi des tests sanguins et que des anticorps H5N1 ont été détectés».

«Bien qu'aucun cas grave n'ait été signalé aux autorités de santé publique, cette preuve apparente de transmission de l'autruche à l'humain est préoccupante et met en évidence le risque de retards dans l'élimination d'un troupeau infecté», a fait valoir l'ACIA.

La Cour suprême décidera bientôt si elle entendra l'affaire.

— Avec des informations de Brenna Owen à Edgewood, en Colombie-Britannique.

Sarah Ritchie, La Presse Canadienne

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