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Afghanistan: d'anciens conseillers pour le Canada au pays interpellent Ottawa

durée 09h36
3 mai 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

OTTAWA — Les menaces ont commencé par des appels téléphoniques en 2011 à son domicile de Kandahar.

La mère de six enfants n'avait aucune idée que son frère canadien travaillait si près, à seulement 10 ou 15 kilomètres, jusqu'à ce que les talibans lui disent.

«Votre frère travaille pour des étrangers et votre vie est en danger parce que votre frère travaille avec des étrangers», lui ont dit des insurgés à l'autre bout du fil.

Son frère de 25 ans, qui a reçu le nom de code «Sam» par l'armée canadienne, était en Afghanistan en secret pour aider les troupes canadiennes à naviguer dans un paysage culturel inconnu et donner des conseils aux commandants sur le terrain.

La Presse Canadienne a accepté de ne pas utiliser le vrai nom de Sam ni de révéler l'identité de sa sœur en raison de la menace à laquelle elle fait toujours face de la part des talibans.

Les appels téléphoniques ont continué tous les quatre ou cinq jours pendant des années. Parfois, le mari de la femme, un policier, décrochait le téléphone.

Puis, un jour de 2013, son mari a été abattu devant la maison familiale alors qu'il se rendait à son travail. Elle pense qu'il a été ciblé par les talibans en raison du travail de son frère dans l'armée canadienne.

Même après le meurtre, les appels téléphoniques ont continué. Puis des lettres de menaces ont commencé à arriver à la maison.

«Toutes les années que nous avons passées en Afghanistan, c'était dans la peur», a-t-elle déclaré en pachto par l'intermédiaire d'un interprète.

Craignant que ses fils ne subissent le même sort que leur père, elle s'est enfuie en Turquie en 2018 avec plusieurs de ses enfants. Ils risquent maintenant d'être expulsés vers l'Afghanistan.

«Si nous sommes renvoyés en Afghanistan, bien sûr, ils nous tueront. Il y a encore tellement de menaces qui nous attendent», a-t-elle déploré.

Pas d'admissibilité au programme

Bien que le gouvernement canadien ait récemment créé un programme spécialement conçu pour mettre les familles de personnes comme Sam en sécurité, sa sœur n'est pas admissible parce qu'elle a fui trop tôt — avant que les talibans ne prennent le contrôle du pays.

«Je sens que la responsabilité est sur moi parce que c'est arrivé à cause de moi, vous savez, à cause de mon implication», a déclaré Sam, qui vit à Ottawa.

Le gouvernement canadien a recruté quelque 45 citoyens canadiens d'ascendance afghane comme Sam pour servir de conseillers linguistiques et culturels pendant la mission en Afghanistan. Ils ont obtenu une habilitation de sécurité ultra-secrète et ont risqué leur vie pour servir aux côtés des soldats.

Lorsque Kaboul est tombé aux mains des talibans en 2021, Sam a immédiatement contacté l'armée canadienne et le gouvernement fédéral pour mettre sa famille en sécurité, en supposant que les familles des Canadiens qui ont servi seraient en tête de liste.

Bien que des membres de l'armée aient plaidé en son nom, sa famille n'était pas admissible à la réinstallation dans le cadre des programmes spéciaux créés après la prise de contrôle. Il dit avoir été accueilli par le silence du gouvernement.

L'année dernière, quatre conseillers linguistiques et culturels ont déposé une plainte en matière de droits de la personne contre le gouvernement.

Ils ont fait valoir que le ministère de l'Immigration avait fait preuve de discrimination à leur égard en assouplissant les conditions d'entrée pour les Ukrainiens fuyant l'invasion russe, mais pas pour les familles afghanes de citoyens canadiens qui ont servi pendant le conflit.

Le gouvernement est parvenu à un règlement volontaire avec deux des conseillers et a lancé une politique temporaire pour amener les membres de la famille élargie des 45 conseillers linguistiques et culturels au Canada en mars.

Mais cela ne s'applique qu'aux personnes qui se trouvaient en Afghanistan après le 22 juillet 2021, peu de temps avant que Kaboul ne tombe aux mains des talibans.

Des critères critiqués

Le député conservateur Scott Reid a qualifié les critères de «pervers» et a déclaré qu'ils garantissaient plus ou moins un échec.

«La date qui a été choisie […] ne reflète pas le fait que certaines de ces personnes se trouvaient dans des régions du pays qui étaient beaucoup plus dangereuses», a-t-il soutenu.

«Les choses s'effondraient en Afghanistan plus tôt que ce jour-là.»

Le gouvernement a été «flexible et a adapté ses approches à mesure que la situation difficile a évolué en Afghanistan», a rétorqué le porte-parole du ministère de l'Immigration, Stuart Isherwood, dans un communiqué.

Il a déclaré que l'approche du gouvernement avait été éclairée par un «éventail de parties prenantes», ajoutant qu'il ne commenterait pas des cas spécifiques.

«Chaque programme a des conditions d'admissibilité, et les individus doivent remplir ces conditions pour pouvoir postuler», a-t-il indiqué.

«Nous avons mis notre vie en jeu»

En Inde, un autre frère d'un des conseillers linguistiques et culturels du Canada craint également d'être expulsé vers l'Afghanistan.

Le conseiller a convaincu son frère de partir en 2011 lorsqu'il a réalisé à quel point la situation était devenue dangereuse pour les membres de sa famille.

La Presse Canadienne a accepté de ne pas le nommer en raison du risque que court son frère s'il est forcé de retourner en Afghanistan.

«Ils ont quitté l'Afghanistan à cause de mon travail», a-t-il dit en entrevue.

Le programme exclut également les enfants adultes des membres de la famille admissibles. Cela signifie que le conseiller peut amener sa sœur au Canada, mais elle devra laisser sa fille de 22 ans en Afghanistan.

«Nous sommes des citoyens canadiens et c'est nous qui avons mis notre vie en jeu, a-t-il plaidé. Nos familles méritent d'être ici.»

Sam et ses anciens collègues ont passé des années à défendre leurs familles, à contacter des politiciens de tous bords. Ils se sont présentés aux réunions des commissions parlementaires, ont appelé les bureaux de circonscription et écrit d'innombrables courriels dans l'espoir de les mettre en sécurité.

«Psychologiquement, ça me torture», a affirmé Sam.

Un gouvernement a autorisé un maximum de 380 demandeurs principaux dans le cadre du programme spécial, qui devrait rester ouvert jusqu'en septembre.

Jusque-là, Sam espère désespérément que son téléphone sonnera et que quelqu'un pourra l'aider à sauver sa sœur d'un nouveau danger.

Laura Osman, La Presse Canadienne