Les prisons sont «mal outillées» pour les soins de santé mentale à long terme

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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Le Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC) affirme que des politiques lacunaires, une formation insuffisante et un manque de traitements spécialisés entravent les efforts du Service correctionnel du Canada pour offrir des soins de santé mentale.
Dans son plus récent rapport annuel, l'enquêteur correctionnel Ivan Zinger déclare qu'il est «tout à fait clair» que le Service correctionnel est fondamentalement mal outillé pour fournir des soins de santé mentale à long terme aux personnes souffrant de «maladies mentales graves, y compris celles qui souffrent de détresse psychiatrique aiguë, d'idées suicidaires et d’automutilation chronique».
Dans les cas impliquant de telles maladies mentales graves, des transferts vers des hôpitaux psychiatriques externes, sécurisés et communautaires sont nécessaires, indique M. Zinger dans le rapport.
Le Service correctionnel du Canada transfère régulièrement vers des hôpitaux externes les personnes nécessitant des soins physiques complexes, comme la chimiothérapie ou la chirurgie cardiaque, note M. Zinger.
Il serait impensable de tenter de telles interventions à l'interne, écrit-il, et pointe que le Service correctionnel du Canada (SCC) continue de croire, à tort, qu’il peut offrir des soins psychiatriques spécialisés à l’interne.
M. Zinger, qui prévoit prendre sa retraite à la fin janvier, doit discuter du rapport mercredi lors d’une conférence de presse à Ottawa.
Le rapport s’appuie sur les conclusions de six enquêtes nationales menées par le bureau de M. Zinger sur les soins de santé mentale offerts aux personnes condamnées au fédéral.
Le BEC a réalisé 425 entrevues avec des personnes détenues et en liberté conditionnelle, effectué des visites sur place et rencontré le personnel des établissements et des services communautaires, des intervenants communautaires, des organisations autochtones et les autorités correctionnelles provinciales.
Les services de M. Zinger ont constaté que des politiques nationales lacunaires, vagues, désuètes ou inexistantes ont mené à une orientation et à une mise en œuvre inefficaces, confuses et incohérentes des services de santé mentale.
Le manque de formation du personnel sur la façon de travailler efficacement et humainement avec les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale a contribué à la piètre qualité des soins dans les établissements correctionnels, indique le rapport. L'absence de dépistage et d'évaluation efficaces des problèmes de santé mentale a engendré un effet domino, avec des difficultés d'identification et d'accès aux services, excluant de nombreuses personnes nécessitant des soins renforcés, précise le rapport.
M. Zinger a également constaté un manque d'options spécialisées en matière de programmes, de traitements et de possibilités d'acquérir des compétences favorisant la réinsertion réussie des délinquants.
À cheval sur deux législations
L'une des enquêtes a porté sur les cinq centres régionaux de traitement du Service correctionnel.
Ces centres présentent une dynamique particulière: ce sont des établissements hybrides, à la fois hôpitaux psychiatriques, en partie régis par la législation provinciale en matière de santé, et établissements pénitentiaires fédéraux soumis à la législation fédérale, indique le rapport.
Tous les centres de traitement, à l'exception du Centre régional de psychiatrie des Prairies, sont situés dans de plus grands complexes pénitentiaires.
M. Zinger a conclu que ces centres peuvent être décrits comme des établissements de soins intermédiaires et gériatriques, avec une capacité limitée en matière d'urgences psychiatriques pour les cas aigus.
«Il convient donc de les redéfinir et de les reconnaître comme tels. Les personnes ayant des besoins psychiatriques complexes aigus et de longue durée devraient être transférées, en vertu de l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), dans des établissements externes spécialisés capables d’offrir le niveau et la qualité appropriés de soins», indique le rapport.
Le maintien de ces personnes dans des centres de traitement gérés par le Service correctionnel est inefficace, inapproprié et constitue une violation flagrante des droits de la personne, ajoute-t-il.
Problèmes d'investissements
M. Zinger qualifie l'annonce par le gouvernement fédéral d'un nouvel établissement de 1,3 milliard $ pour la région de l'Atlantique de «profonde mauvaise affectation des ressources».
Plutôt que d'investir dans un autre établissement interne, le gouvernement aurait dû demander au Service correctionnel de collaborer avec les systèmes de santé provinciaux afin d'accroître l'accès à des lits en psychiatrie sécurisée dans la communauté, peut-on lire dans le rapport.
Dans une réponse incluse dans le rapport de M. Zinger, le Service correctionnel rejette les recommandations.
Le Service correctionnel affirme disposer d'un système de santé et d'un modèle de prestation de services permettant «d’offrir des services en fonction du niveau des besoins». Le Service correctionnel indique que ses services de santé, y compris les Centres régionaux de traitement, sont agréés par Agrément Canada, le même organisme qui agrée les hôpitaux et autres fournisseurs de services dans les collectivités du pays.
Le Service correctionnel précise qu'il a également un partenariat avec l'Institut Philippe-Pinel de Montréal pour la prestation de soins psychiatriques en milieu hospitalier aux détenus, hommes et femmes, sous réserve du respect des critères d'admission de l'Institut.
Le Service correctionnel affirme qu'il continuera de collaborer avec les hôpitaux psychiatriques provinciaux afin d'accroître la capacité existante.
«Ces efforts seront consentis en reconnaissance du fait que les établissements de soins de santé provinciaux disposent d’une capacité limitée pour fournir des soins aux détenus sous responsabilité fédérale, et surtout pour admettre ceux qui ont des besoins complexes en matière de santé et de sécurité», indique la réponse.
Le Service correctionnel ajoute qu'il procède également à un examen approfondi de ses Centres régionaux de traitement afin d'établir un référentiel de services normalisés. L’examen visera à garantir que les services répondent aux besoins et offrent une combinaison adéquate de soins hospitaliers psychiatriques, de soins de santé mentale intermédiaires et de soins médicaux de courte durée, indique le Service correctionnel.
Le nouvel établissement prévu à Dorchester (Nouveau-Brunswick) sera un centre de soins de santé moderne, bilingue et spécialement conçu à cet effet qui permettra au Service correctionnel de faire progresser son modèle de soins de santé axé sur le patient, ajoute-t-il.
Jim Bronskill, La Presse Canadienne