Le ministre Benoit Charrette se donne d’ici la fin de l’été pour faire une recommandation au gouvernement
Projet de GNL-Québec : les risques dépassent les avantages, estime le BAPE
Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) accueille froidement le projet de GNL-Québec un complexe de liquéfaction du gaz naturel à Saguenay, pour ensuite l'exporter.
Dans son rapport, déposé aujourd’hui, le BAPE souligne notamment qu’avant de prendre une décision sur le projet, le gouvernement devrait considérer les risques associés au trafic maritime sur les mammifères marins qui fréquentent le Saguenay et l’estuaire du Saint-Laurent, notamment le béluga.
Les commissaires soulignent également qu’ils n’ont pas été en mesure de se prononcer sur l’acceptabilité sociale à l’égard du projet, même si globalement, selon l’analyse qu’elle en a faite, la somme des risques afférents au projet dépasse celle de ses avantages.
Le ministre de l’Environnement et des changements climatiques, Benoit Charette, a réagi en indiquant qu’il devrait faire part de sa recommandation au gouvernement au plus tard d'ici la fin de l'été.
Nous avons choisi de reproduire intégralement ici la conclusion du rapport :
L’initiateur présente son projet Énergie Saguenay comme exemplaire par rapport à ses concurrents en matière d’empreinte carbone associée à ses activités de liquéfaction de gaz naturel. Il se positionne à titre de vecteur de réduction des émissions globales de GES parce qu’il prétend que son GNL se substituerait à des sources d’énergie plus polluantes en Asie et en Europe. De plus, GNLQ soutient que l’investissement projeté de 9 G$ pour la construction du complexe de liquéfaction offrirait une occasion de développement économique importante pour la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, pour le Québec et pour le Canada.
De nombreux résidents et représentants locaux voient dans ce projet une occasion de diversification et de développement économique pour la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. À l’opposé, plusieurs participants mettent en doute les attributs environnementaux du projet et considèrent qu’il va à l’encontre des engagements du Québec et du Canada en matière de lutte contre les changements climatiques et de protection de la biodiversité. L’impact du projet sur l’industrie touristique du Saguenay–Lac-Saint-Jean est également une source de préoccupations.
La commission constate les efforts de diversification économique déployés par les autorités du milieu d’accueil. Ce projet produirait en effet, durant les quatre années de construction, des retombées économiques importantes pour la région d’accueil et pour le Québec. Cependant, en phase d’exploitation, les retombées économiques les plus importantes se manifesteraient surtout dans l’Ouest canadien, dans l’industrie de production du gaz naturel.
La croissance de la demande mondiale de GNL anticipée par l’initiateur est incertaine compte tenu des répercussions de la pandémie de la COVID-19, de l’évolution des engagements de nombreux gouvernements dans la lutte aux changements climatiques et du scepticisme croissant des investisseurs à l’égard des projets axés sur les énergies fossiles.
Plusieurs projets concurrents ont pris récemment des décisions finales d’investissement et sont déjà en construction ou devraient l’être sous peu. Ainsi, la nouvelle capacité de production de GNL qu’apporterait l’initiateur dans le marché pourrait ne pas être nécessaire avant 2030.
Dans ce contexte, la commission considère que la compétition dans laquelle l’initiateur s’est engagé pour sécuriser des contrats de vente de GNL à long terme apparaît difficile et que la fenêtre d’opportunité pour le projet Énergie Saguenay semble s’être considérablement réduite depuis l’annonce initiale du projet, en 2014.
D’ailleurs, l’AIE émet des réserves sur le rôle de l’industrie gazière comme acteur de la transition énergétique, parce que cette industrie est elle-même une source importante d’émissions de GES, notamment dans les activités d’exploration et d’extraction, en amont de la chaîne d’approvisionnement.
Selon les scénarios de l’AIE qui sont en phase avec l’atteinte de l’objectif de l’Accord de Paris, les terminaux de liquéfaction existants ou actuellement en construction suffiraient pour combler la demande jusqu’en 2030 et risqueraient d’être en surnombre au-delà de 2040.
Par ailleurs, la commission considère que la mise en place de nouvelles infrastructures d’échange de GNL pourrait constituer un frein à la transition énergétique sur les marchés visés par le projet Énergie Saguenay. L’adhésion à long terme à cette chaîne d’approvisionnement, suivant le modèle d’affaires de GNLQ, aurait pour conséquence de verrouiller les choix énergétiques des pays clients et, conséquemment, les émissions de GES associées à la combustion du gaz naturel qui y serait livré. Ce faisant, la transition de ces pays vers une économie sobre en carbone pourrait en être retardée.
La commission constate que l’utilisation de l’électricité réduirait l’empreinte carbone des activités de liquéfaction de GNL Québec, mais les émissions de GES associées à l’approvisionnement en gaz naturel en amont et la substitution incertaine à des énergies plus polluantes en aval ne permettent pas à la commission de confirmer le bilan positif du projet mis de l’avant par l’initiateur. La commission est d’avis que le gouvernement ne peut escompter des réductions nettes de GES au niveau mondial. La valeur de référence associée au projet qui devrait être retenue pour la prise de décision gouvernementale serait plutôt un ajout net d’émissions de GES, bien que la commission ne puisse l’établir précisément.
Par ailleurs, avant de prendre une décision sur le projet, la commission est d’avis que le gouvernement devrait considérer les risques associés au trafic maritime sur les mammifères marins qui fréquentent le Saguenay et l’estuaire du Saint-Laurent, notamment le béluga. Elle souligne également qu’il y aurait lieu de prendre en compte les effets cumulatifs découlant des autres composantes du projet, soit le gazoduc de 780 km et la ligne d’alimentation électrique, ainsi que des autres projets en développement dans la zone industrialo-portuaire de Saguenay.
Dans toute l’histoire du BAPE, l’audience sur le projet Énergie Saguenay a suscité la plus forte participation citoyenne, notamment en matière de mémoires déposés. Cela reflète l’intérêt et la grande mobilisation que ce projet a entraînée, tant chez ses détracteurs que chez ceux qui l’appuient. La commission a toutefois constaté l’absence de points de convergence entre les positions exprimées et la difficulté d’établir une zone de compromis acceptable de part et d’autre. Ainsi, considérant ce débat fortement polarisé dans le milieu d’accueil, mais aussi dans l’ensemble du Québec, la commission n’a pas été en mesure de se prononcer sur l’acceptabilité sociale à l’égard du projet Énergie Saguenay même si globalement, selon l’analyse qu’elle en a faite, la somme des risques afférents au projet dépasse celle de ses avantages.
La commission est également d’avis que le clivage sociétal observé risque de perdurer, quelle que soit la décision du gouvernement à l’égard de ce projet et qu’un suivi devrait être envisagé par les autorités publiques, particulièrement dans le milieu d’accueil.
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