Chanter de l'opéra pour contrer le brouillard cérébral de la chimiothérapie

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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Des patients soignés en chimiothérapie sont invités à s'initier au chant choral pour contrer le brouillard cérébral souvent engendré par leurs traitements, dans le cadre d'un projet dirigé par l’équipe interdisciplinaire art et santé du Centre de recherche Charles-Le Moyne.
Ce projet s’appuie sur des études scientifiques qui suggèrent que la pratique du chant choral chez les personnes touchées par un cancer contribuerait à un mieux-être.
«On voulait voir la faisabilité et l'accessibilité de faire du chant de groupe basé sur l'opéra avec les personnes qui ont une expérience de brouillard cérébral», a expliqué la docteure Catherine Padry, qui est oncologue et cogestionnaire médicale du Centre intégré de cancérologie de la Montérégie qui a initié le projet.
Cette étude, a-t-elle ajouté, semble être la première en son genre au Québec, même si des initiatives similaires ont été mises en place ailleurs dans le monde.
Le but est donc de mesurer «la faisabilité et l'acceptabilité» de la chose, a dit la docteure Padry.
«Est-ce que c'est acceptable pour les professionnels (de la santé) de suggérer et d'expliquer ça à leurs patients? Est-ce que les participants vont être timides, est-ce qu'ils vont vouloir chanter, est-ce qu'ils vont vouloir s'associer à l'opéra, est-ce que ça sera intimidant? Et finalement, est-ce qu'on a des bénéfices sur les différents symptômes?», a-t-elle énuméré.
Les 16 personnes recrutées participent pendant 24 semaines à une chorale sous la direction de la soprano et cheffe de chœur Myriam Leblanc. Le projet a débuté au printemps et reprend cet automne après une pause estivale.
Les participants complètent une évaluation avant et après chacune des séances et à quatre reprises pendant le projet portant sur leur perception du brouillard cérébral, leur bien-être et l’expérience du chant choral.
Le projet de recherche vise à étudier les effets du chant choral sur la santé physique et mentale ainsi que sur la qualité de vie et à mieux comprendre les mécanismes qui produisent ces effets, puisqu'on estime que le brouillard cérébral affecte jusqu'à 75 % des patients et qu'il peut parfois être ressenti jusqu'à dix ans après la fin du traitement.
«Les troubles cognitifs sont extrêmement variés, mais souvent, ce qui est relaté en premier, ce sont souvent des troubles de concentration, des troubles d'attention, des troubles de mémorisation, bref, des choses qui ont un impact extrêmement important», a dit la docteure Padry, qui admet d'emblée que la science ne comprend toujours pas pourquoi la chimiothérapie cause ce brouillard cérébral.
Le tout est «extrêmement confrontant sur l'estime de soi, les capacités, les relations avec la famille, les enfants, le conjoint, les collègues, l'ensemble de la vie de la personne, et c'est pour ça qu'on essaie de (...) dire oui, il y a peut-être certaines choses qui peuvent aider, dont le champ choral», a-t-elle ajouté.
On ne dispose que de peu de traitements pharmacologiques pour combattre le brouillard cérébral secondaire à la chimiothérapie.
Cependant, a-t-on indiqué par voie de communiqué, l’Organisation mondiale de la santé rapporte que plusieurs interventions non pharmacologiques, telles que la rééducation cognitive, l'exercice physique et les interventions psychosociales, ont montré des résultats positifs.
«On a approché les patients en leur disant que ça pourrait les aider à mieux respirer ou à se recentrer, que ça allait pratiquer leur mémoire d'apprendre de nouveaux chants, a dit la docteure Padry. Il n'y a pas de garantie de traitement, ce n'est pas une molécule, mais en même temps, c'était démontré que ça peut aider pour le bien-être, réduire l'anxiété, et ce sont des choses qu'on démontre avec l'étude.»
Mais pour que ça fonctionne, il fallait aider les participants à surmonter l'aspect un peu «intimidant» de l'opéra en choisissant des «choeurs d'opéra qui sont entendus un peu partout», a précisé Pierre Vachon, dont le programme Action sociale et éducation à l’Opéra de Montréal a inspiré le projet.
«C'est vrai que l'opéra ne vient pas nécessairement naturellement à des gens qui vont aller voir Taylor Swift ou Céline Dion, a-t-il admis. La particularité, c'est de chanter des chants d'opéra, donc oui, il y a un défi supplémentaire, une difficulté supplémentaire en termes de chanter, aussi la gêne de chanter en chorale.»
Pour le moment, a ajouté M. Vachon, on constate une «adhésion unanime» des participants au projet, et ceux qui ratent une séance le font habituellement pour des raisons de santé.
«On sent le bonheur de chanter en chœur, le plaisir d'être ensemble, a-t-il dit. On sait que la musique et le chant choral, ça rallie bien les gens. Il y a un phénomène de cohésion sociale aussi, de socialisation, et ça, c'est parmi les premiers bienfaits lorsqu'on fait de la musique.»
L'occasion de socialiser avec des gens qui doivent eux aussi composer avec le brouillard cérébral est d'ailleurs fréquemment évoquée par les participants, a dit la responsable du projet, Dominique Tremblay, qui est professeure à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke et chercheure régulière au Centre de recherche Charles-Le Moyne.
«Il y a une espèce de honte à dire qu'on a des symptômes, qu'on n'est plus comme avant, a dit Mme Tremblay. Les participants trouvent que ça leur fait du bien d'être capables de partager avec des personnes qui vivent des choses semblables. Il n'y a pas de jugement dans le groupe, parce que tout le monde vit la même chose, donc ça devient un lieu de soutien et de discussion.»
Une participante trouvait son brouillard cérébral tellement lourd à porter qu'elle avait commencé à systématiquement tout noter dans son cellulaire, a relaté Mme Tremblay.
Le chant choral lui a permis de constater «qu'elle n'est pas toute seule», a-t-elle ajouté.
«Ça aide les participants à retrouver une certaine normalité, a conclu Mme Tremblay. Le but, c'est de trouver un moment de plaisir et de pratiquer des choses, de respirer, de se déposer et d'aller un peu à l'intérieur de soi.»
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne